En fait je fais exprès. J'ai tout planifié à l'avance. Je sais comment chacun/e réagit, et je sais frapper là où ça fait mal, là où l'amitié se finit. Je n'ai plus de cœur, il est glacé, il est mort, il est congelé. Je n'ai pratiquement plus envie de parler, d'être là, avec il, avec elle. Je me tais, je les regarde, je suis l'étrangère, je suis une chaise, je suis un cendrier à moi toute seule. Je suis le porte-manteau. Je suis le rideau de la fenêtre mal lavée. Je suis le puzzle commencé, jamais terminé, celui qui gît parterre. Celui qui fait le mort et qui gêne quand on passe l'aspirateur.
Je suis la voix de gamine qui dit "excusez-moi madame, l'addition s'il vous plaît"
Je suis l'absence, le temps figé à une heure précise, toujours en retard, le lapin blanc.
Je suis là mais seulement quand je viens d'arriver avec les joues froides et mouillées. Je suis là quand je dois partir, ou bien quand c'est eux qui partent, on se fait la bise, on se serre la main, la main gelée, "tu es glaciale", "à bientôt !" "ciao !"

Je me déteste tellement. Mais c'est tellement romantique, tellement drôle et cynique, méchant, que je ne commente plus. Je me tais, je pense à mes chiffres, à mes lettres, quoi écrire dans le carnet oublié, perdu. Il ne resterait que moi sur la Terre, ça ne me gênerait pas plus que ça.
Je vivrais de silence et d'eau fraîche. Mes échos qui se multiplieraient en rebondissant sur tout, et qui reviendraient par l'autre côté de la Terre.